Récit de Lorenzo: Visite à Meer en Août 1993

Ce Récit de Lorenzo, un professeur français à Istanbul, n'est pas l'histoire proprement dite du village et de ses habitants. Néanmoins, il nous fait découvrir énormément de choses à travers la description des photos. Ce récit a été écrit par Lorenzo lors d'une visite à Meer. Etant professeur à Istanbul, il se rend compte que pendant les vacances d'été 1993, il ne voit plus aucun de ses élèves Chaldéens qu’il connaissait bien. Après s'être renseigné, on lui raconte que tous avec leur famille sont repartis au village. Curieux, il se met à leur recherche et va traverser toute le Turquie pour les retrouver. On imagine bien la difficulté et le danger omniprésent de son voyage, surtout pour un étranger. Finalement il y parvient. Surpris, les villageois nouvellement installés l'accueillirent chaleureusement. Il passera 2 mois au village et il nous fait part de son récit avec toutes les photos prises par lui-même.(Tout ce qui est écrit en italique, c'est moi qui l'ai rajouté pour parfois une meilleure compréhension).

NB : Les numéros dans le texte correspondent aux numéros des photos, ils s'affichent au survol avec la souris.

Kovan Kaya (Meer) se trouve à 6-7h de marche de Uzun Geçit Köyü (lui-même à 1h30 de minibus de Ülüdere). Une bonne moitié du parcours se fait sur une piste praticable par un 4*4 ou un tracteur (on la distingue sur "ph 2").
Mais cette piste est détruite par endroit, ce qui oblige à prendre des petits sentiers. "ph 3": Voici la vue qui s’y offre à vous, au détour d’un sentier, juste avant d’arriver au village. Avec à droite, la falaise aux ruches (signification de Kovan Kaya: Meer) et la rivière entre celle-ci et le village. "ph 4" Nous donne une meilleure idée de la situation du village, elle est prise face à la falaise. Remarquez en fond de tableau, le relief ininterrompu des montagnes. "ph 5" Même vue d’un peu plus près. "ph 6" : Sous un autre angle. Les champs verts sont cultivés grâce à l’eau apportée par un canal (voir "ph 3" et "ph 7"). La rivière étant très encaissée, l’eau n’est pas directement utilisable. Ils cultivent du blé dur, du maïs, concombre, tomates, haricot etc. et un peu d’une sorte de luzerne. Cette année encore, les récoltes suffitont à peine pour boucler l'année et sans doute devront-ils en acheter un peu à Uzum Geçit.

"ph 7": Vue prise des ruches de la falaise (voir "ph 26" et "ph 27". Elle donne une bonne idée de l’encaissement de la rivière. On distingue le canal sur la gauche. Un autre canal (invisible ici), sur la droite, apportait de l’eau à un moulin à eau, endommagé comme les maisons. L’eau tombait  d’une hauteur de 8 mètres et faisait tourner une roue à palette disposée horizontalement qui elle-même entraînait une meule. C’était le seul moulin de la région et les gens des petits villages voisins apportaient leur grain à moudre. Les dégâts ne semblent pas très importants: ils comptent le rendre à nouveau opérationnel. Il est situé un peu plus bas que la flèche 8 : les enfants près du canal de gauche.

"ph 9": Vue plus rapprochée. Les flèches indiquent les 4 maisons reconstruites, avec des toits en terrasse (voir "ph 40"). En 90, les 16 à 20 familles qui habitaient le village étaient priées par l’état Turc de quitter les lieux comme tous les petits villages des alentours ("ph 13, 14, 15, 16"). Puis ceux-ci ont été détruits. Ainsi, dans la région comprise entre Siirt, Pervari, çatak, Chahmanis, Beytussebap, Chirnakh, tous les villages ont été évacués et aucun n’a obtenu l’autorisation d’être réoccupé. Sauf Kovan Kaya... On voit une seul meule de foin, formée par les gerbes 24.La maison à droite est celle de la famille d’Edip.


"ph 11": Reste de l’Eglise du village Mart Meryam. Mais celle, toute petite, située dans la falaise (Mara Shmoni) n’a presque subi aucun dommage. Et c’est surtout elle, beaucoup plus ancienne et chargée de légendes, qui attire les ferveurs.
"ph 12": Façade d’une maison à 2 étages qui illustre le haut niveau atteint par le village en matière de construction. Arcs, clefs de voûte, parfaite coïncidence des pierres:la technique est au point.











"ph 13, 14, 15 et 16": Photos de villages détruits rencontrés sur le chemin pour aller à Uzun Géçit. Le but recherché était de priver le PKK de tout soutien de ces villages difficilement contrôlables car difficile d’accès. De plus, une zone tacitement interdite est ainsi créée et les hélicoptères qui patrouillent chaque jour peuvent tirer sur toute présence humaine. Le village et ses alentours immédiats sont respectés, mais toute sortie plus loin (pour ramener de l’herbe "ph 25" ou pour aller à Uzun Géçit) est aux risques et périls des habitants. Ainsi ai-je effectué l’aller au village de nuit. A 5 reprises pendant 6 jours, alors que nous effectuions des tâches à 1h de marche du village, nous devions nous cacher sous des marche du village, sous des rochers ou arbustes, lorsque nous avons entendu un hélicoptère arriver.

Les activités du village

Nous avons déjà parlé des cultures. Précisons que les labours sont faits à l’aide de 2 bœufs. Autre pôle d’activité: le troupeau de moutons et de chèvres est d'environs 100 têtes "ph 17". Pour l’hiver,une variété d’herbes est coupée et mise à sécher en tas. Puis elle est coupée en petits morceaux grâce aux piétinements des mulets "ph 18". "ph 19": Le même tas, 3h après. "ph 21": Puis on en remplit de grands sacs qui seront apportés au village, et vidés dans des dépôts. Le foin plus traditionnel est aussi à l’honneur. Certains endroits des montagnes présentent des sols très riches en eau où poussent des herbes abondantes "ph 23". Elle est fauchée, mise à sécher puis en gerbes, qui passeront l’hiver en meules. Les deux tas d’herbes ambulants sont les 2 mulets qui rentrent tranquillement au village "ph 25". Ce travail s'appelle Guéra, on peut dire "wedlay guéra".









Les propriétés du village, pâturages et quelques régions boisées, s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares. Il a accueilli jusqu’à 70 familles avant que l’émigration des 10-20 dernières années ne ramène le chiffre à 16-20 en 1990. La grande spécialité du village est le miel. Avec certaines de ses ruches accrochées à la falaise. Elles ont donné son nom au village et inspirent l’admiration des villages alentours. Des baraques indiquées par les flèches "ph 26", seul "ph 27" sont aujourd’hui utilisée. Tout le matériel de construction a été monté à dos d’homme… Il ya aussi quelques ruches dans le village. Ce sont des cylindres de 1.5 m de long et de 25 cm de diamètre, faite avec une sorte d’osier. Les abeilles fabriquent les alvéoles et le miel, sans aucun apport de sucre. Ça donne un miel de luxe, vendu environ 75 FRF à Istanbul.

"ph 28": Pont (Guéshra) à l’entrée du village voir "ph 3". N’oublions pas enfin d’évoquer les travaux des femmes comme ici les cuissons de sortes de crêpe "ph 29" (pâte constituée uniquement de farine, eau et sel) qui tiennent lieu de pain.Ce pont est l'un des seuls ponts qui permettait de sortir du village. C'est celui qui était le plus utilisé par exemple pour se rendre à Marta Shmoni ou pour aller à Uzun Grçit (Dérahiné). Pour la photo à droite, c'était la seule manière de faire du pain car il n'y avait ni commerce, ni boulangerie. Chacun faisait son pain.

Les habitants


Nous avons gardé le meilleur pour la fin: la raison d’être du village. 4 familles, 1 couple de retraités et un jeune couple avec 1 enfant, après avoir passé un an à Istanbul, sont retournés au printemps 1991 chez eux. Nous avons vu la manière dont ils essayèrent de redonner vie à ces ruines. Ils sont environ 40-45 personnes: tous ces enfants sont vraiment l’âme du village. 13 d’entre eux sont attendus à la rentrée à Istanbul pour aller à l’école: 4 filles à Bebek; 7 garçons de 7-11 ans et deux plus grands.

"ph 30": Famille de Macih (10 enfants, plusieurs sont absents sur la photo)

"ph 35": Famille de Apro (10 enfants tous au village)."ph 37": Un père heureux. Certains Chaldéens auraient-ils des origines écossaises ?


"ph 34": Kemal (fils ainé de Huzmuz) son épouse Mariya et leur enfant Madani. "ph 38 et 39": Famille d’Isaac et ses 4 enfants. "ph 40": La même au réveil pour le photo la plus matinale ! C’est tellement plus agréable de dormir sur le toit.

"ph 41 et 42": Après la partie de foot du dimanche. De tels efforts méritaient bien de faire trempette. Cet endroit où les garçons allaient se baigner s'appelait Garé d-gaouza térkhana. On pourrait dire la piscine pour les garçons. Il y'avait aussi un endroit pour nager réservé aux femmes, évidemment séparé et loin de celui des hommes. A droite on peut voir comment ils sautent dans l'eau. On y allait surtout quand il faisait chaud ou bien pour se détendre après les longues journées de travail.

Mes remerciements à l'auteur de ce texte que je qualifierais de document précieux de l'hsitoire du village.