L'histoire des autres villages Assyro-Chaldéen du Sud Est de la Turquie

Voici un résumé de l'histoire des huit autres villages Assyro-Chaldéen du Sud Est de la Turquie (voir géographie). On sait que dans le temps il y avait beaucoup plus de villages et de villes, la région était entièrement peuplé par les Assyros-Chaldéens mais depuis le génocide de 1915, et puis les autres persécutions qui suivirent ont réduit considérablement le nombre de chrétiens au fil des années jusqu'à leur disparition totale fin 20ème siècle.

On parle souvent de la grande solidarité et la fraternité qu'il y'avait entre tous les habitants de ces villages. Cela permettait des échanges commerciaux et où chacun mettait en avant sa spécialité comme par exemple le miel, l'agriculture, le bétail etc., il y avait aussi des mariages mixte, ce qui crée encore d'avantages de liens. Par ailleurs, étant proche de la frontière Irakienne il y avait là aussi beaucoup d'échange et de liens entre les Assyro-Chaldéens de Turquie et leurs frères d'Irak.

On pourrai écrire plus d'un livre sur chaque village mais ici ce n'est pas le but recherché, on se contantera d'un résumé.
Les réponses aux questions suivantes nous aident à mieux connaître et comprendre l’histoire de chaque village:

- Où se trouve le village?
- Depuis quand il existe?
- Qui sont les premiers fondateurs?
- De quoi vivaient les habitants?
- Quels étaient les liens avec les autres villages?
- Est ce qu'il y avaient des relations avec les Kurdes?
- Comment se déroulée une année pour les villageois?
- Combien y a t-il de Babé (clans, lignées) dont sans issus les générations?
- Entre quelle période les villageois ont quitté leurs habitations et quelles ont été les principales causes?

Il manque surement des informations importantes sur l'hsitoire des villages, si c'est le cas et si vous le pouvez, n'hésitez pas à envoyer le complément qui vous semble nécessaire via la page contact pour la mise à jour.


| Harbole | Gaznakh | Ischy | Baznaye | Bespin| Hassan | Hoz | Hartiv |


Bespin (Görümlü):

Les sourayé de Bespin sont originaire en majorité de la ville de Mossoul (dans l’actuel Iraq). Ayant été témoins de massacre et de problèmes en tout genre à Mossoul à l’encontre des sourayé, l’histoire raconte que 3 frères sourayés originaire de Mossoul se serait réfugiés au village de Bespin au XVIII°s (il y a 6 /8 générations). Ils se nommaient Yawno, Pawo et Shawer. Après un long périple, ils se seraient réfugiés d’abord au village de Dérian dans le Hakkari, proche de la ville de Beytussebap. Après avoir eu des différands avec des kurdes de ce village, ils se sont dirigés dans la région de Silopi pour visiter différents villages susceptibles de pouvoir y vivre. Pour rejoindre cette région, ils devaient obligatoirement passer par le village de Bespin, qui donnait automatiquement accès à la région de Silopi. Bespin étaient originairement chrétien. Pour une raison encore inconnue, ils n’y en avaient plus dans le village à l’arrivée des trois frères. Le village était désormais composé uniquement de kurdes. À l’arrivée, ils ont trouvé le village très beau pour ses jardins et ses fleuves en abondance. Pour tester le caractère et la générosité des habitants du village kurde, les trois frères auraient utilisé 3 fois l’eau d’un agha kurde. La première fois, le agha n’a rien dit, la deuxième pareil et la troisième fois, le agha a finit par donner son eau aux trois frères sourayé. À force de travail, les trois frères sont devenus petit à petit riche, ont acheté des terres et des jardins. Par la suite, un de leurs descendants nommé Okhowé Markos est devenu Agha du village de Bespin. Anciennement chrétienne, le village de Bespin était composé d’une ancienne église et ou monastère, qu’on appelait « Madrese », qui signifie « madreshta/madreshto » : « école ». Le nom de ce monastère était Mar Mar Owgé. Il aurait été un lieu d’enseignement où vivaient des prêtres, avant d’être transformé en mosquée par les kurdes. D’ailleurs, on attribuerait 2 noms au village de Bespin : Besmel qui proviendrait de son nom originel de Deyr Besmel (Deyr signifiant Monastère) et le nom de Beth Spen (cité dans le livre « les chrétiens aux bêtes » de Jacques Rhétoré).
Avant Baderkhan, Bespin était une ville. Cela s’explique par le fait qu’à Bespin se trouvaient des cimetières anciens où les tombeaux étaient en bois (« kawrata »). Ces types de cimetières étaient fréquemment utilisés avant l’époque de Baderkhan, elles se situaient dans les villes à côté des mairies (municipalité).


Le village de Bespin était bordé par les montagnes tels que Cudi, Zerikared et Dekheret (coté Iraq). A Bespin, le fleuve principal était formé par deux fleuves. L’un provenait de Kalahiya (situé au bas de la montagne de Zerikar) rejoignait un autre fleuve pour former le fleuve principale de Bespin. Ces différents fleuves passaient dans les 4 moulins à eaux du village et permettaient ainsi dans le même temps d’irriguer les jardins du village. Le fleuve de Bespin passait dans le village de Kunsara, Salatun, Terkaben, Wahsit (ou nommé Warsat), Gunkhadit, Takiané, Gerek et la ville de Silopi. Après avoir traversé ces différents lieux, ce fleuve rejoignait à Izel, un grand fleuve qui marque la frontière entre la Turquie et l’Iraq.


Situé dans la région de Silopi/ Sirnak, le village de Bespin était entouré des villages tels que Beshere (kurde), Derasor (anciennement souraya devenu kurde, composé de l’église Mar Mokta), Deradash,  Harbole (souraya), Geta, Kunsara, Fergat, et de la ville de Silopi, Jezira et Zakho (Iraq). Cette région de Silopi était auparavant entièrement composée de village sourayé. Les assyro-chaldéens de Bespin avaient de très bonne relation avec les kurdes du village et des alentours même après le génocide de 1915. Or, cette relation a commencé à se détériorer à l’arrivée d’un nouveau Sheikh de Jiziré (région de Silopi) dans les années 1950-1960. Quant aux villages voisins assyro-chaldéens tels que Harbole ou Hassan, les bespinayés sourayé entretenaient de très relations avec eux. D’ailleurs, n’ayant ni de prêtre et ni d’église, les sourayé de Bespin devaient faire appel au prêtre de Harbole (dans les années 1950 à 1980, le père Dawid Gunes du village de Harbole faisait la messe à Bespin). Le prêtre venait deux fois par an à Bespin au moment des fêtes (Noël et Pâques). Faute de pouvoir se construire une église dans Bespin, les messes hebdomadaires du dimanche étaient effectuées par les familles eux-mêmes : dans chaque famille assyro-chaldéennes, on priait et faisait nos propres messes dans la maison. En effet, les kurdes avaient interdit aux chrétiens du village de construire une église. Situé sur les actuelles terres du Agha Telo à Bespin, les sourayés de Bespin avaient eu le projet de construire une église. Or, un jour, alors qu’ils avaient préparé le terrain, les pierres et le ciment, les kurdes sont intervenus en pleine messe. Ils avaient menacé de mort les sourayé s’ils construisaient l’église. Par peur, les sourayés de Bespin ont abandonné le projet. Cette interdiction de construction d’église avait eu lieu dans un premier temps lors de l’arrivée de l’islam et ensuite lors de l’arrivé des ottomans au XV°s (1453 : prise de Constantinople). D’ailleurs les églises ou monastère d’Anatolie, du Hakkari, de Sirnak ou du Tur Abdin datent très souvent de l’époque assyrienne (anciennement païen transformé en église chrétienne) ou de l’époque byzantine.


A Bespin, on trouvait les tombes de deux saints sourayé qui étaient frères : l’un se nommait Mar Yawsep (Saint Josef) et l’autre Mar Giwargis (Saint Georges). Les kurdes les avaient transformé en saint musulman, ils les nommèrent respectivement …Avant d’aller prier sur leurs tombes, les fidèles devaient se laver les pieds. D’après la tradition, il ya eu plusieurs phénomènes liés à ces deux tombes. Une fois, un homme aurait recueillit une grenouille au fleuve, l’aurait placé dans sa poche près de sa poitrine, et se serait rendus à la tombe de Mar Giwargis. En arrivant à sa tombe, il aurait menti avoir dans sa poche une grenouille. A cet instant, sa grenouille était morte. Une autre histoire faisait mention d’un mouton qui s’était rendu sur la tombe de Mar Giwargis et est décédé automatiquement. Après ces événements, son frère Mar Yawsep aurait proposé d’échanger sa tombe avec la sienne, car celle de Mar Giwargis aurait été trop étroite.


Durant la période du génocide de 1915, lorsque les troupes russes ont quitté la région de Van pendant la première Guerre Mondiale juste après la révolution bolchévique en Russie, les massacres de 1915 appelé couramment Génocide arménien assyrien chaldéen syriaque avait commencé. Les autorités avaient demandé aux kurdes de la région de tuer les sourayés du village de Bespin. Ils ont automatiquement refusé de le faire. Pour éviter leur massacre, un agha kurde de la région qui se nommait Bet Suleyman. Il possédait un « Kassra », un château dans lequel il a accueillit tous les assyro-chaldéens de Bespin. Seul un souraya de chez Cota a été tué lors du génocide. Lorsque le génocide a pris fin, un certain Sheikh Nusahadin avait apposé le nom de kurde aux assyro-chaldéens de Bespin afin d’éviter qu’ils se fassent tuer et pour leur éviter de quelconque problème.
La spécialité des assyro-chaldéens de Bespin était la fabrication des « shalé ». Effectué par les chrétiens du village Bespin, la fabrication du shale était uniquement réservé aux chrétiens et interdit aux kurdes. En effet, les kurdes considéraient que c’était un péché de le pratiquer, du fait qu’ils soient fait par les chrétiens. De plus, les sourayés de Bespin cultivaient quotidiennement les jardins et les « sheshmé », et possédaient des moutons en grand nombre. Une abondance de jardins « dakhlé » et d’eau faisait parti du paysage quotidien du village. Ils vivaient principalement de bétail, de l’élevage et de l’agriculture.


Durant l’année, la vie des paysans de Bespin était rythmée par les saisons. Effectivement, au mois de mai (début de la saison chaude) les sourayés de Bepsin, se rendaient au « zawzané », c’est-à-dire qu’ils s’en allaient en masse en hauteur des montagnes accompagné de leurs moutons pour la fabrication de produit alimentaire tels que la « gupta » = le fromage, le miel, etc. Après le mois de mai, ils déposaient leurs moutons durant tout l’été dans la région fraiche de Van.
Bespin étaient composé de 78 maisons de sourayé et de 350 maisons de kurdes. Parmi les assyro-chaldéens, quelques familles anciennement arméniennes originaires de Dahhé dans le Sirnak se sont réfugiées à Bespin au début du XX° siècle et se sont assimilés à la culture assyro-chaldéenne. On trouvait également des familles assyro-chaldéennes originaires du village de Hoz (détruit 4 fois au cours du XIX° s et XX°s et détruit définitivement dans les années 1920) issus des familles Beth Chabo, Beth Talia et Beth Tshita ou du village de Harbole. Les relations étaient dans l’ensemble bonnes jusqu’à l’arrivée d’un Sheikh kurde de Jiziré qui était connu pour être un anti-chrétien. Il aurait poussé les populations kurdes à tuer et persécuter les chrétiens de la région dans les années 50/60.


L’exil définitif des assyro-chaldéens de Bespin vers l’Europe s’est effectué à partir de 1977 jusqu’en 1990. L’événement déclencheur de cet exil avait eu lieu dans les années 1960 à 1977 lorsque 3 assyro-chaldéens se sont fait assassinés par les kurdes du seul fait qu’ils étaient chrétiens. Les noms des trois assyro-chaldéens étaient Elish Ide Bet Rasho Oshé, Tshulo et Khamo. Pour anecdote, après la mort d’un de leur membre, un soir, une famille entière s’est enfuit du village sans prévenir personne. Les assyro-chaldéens de Bespin, se rendaient dans un premier temps à Istanbul pour ensuite rejoindre l’Europe par la suite dans les pays tels que la France, la Belgique ou l’Allemagne. C’est en 1990 que le village de Bespin s’est vidé complètement de ses habitants assyro-chaldéens.


Recueillit par Sémiramis Ide d’après les propos de Yawsep Karakac, le 9 Août 2010 à Bruxelles.
Institut Assyro-Chaldéen-Syriaque.


Autres sources :

Jacques Rhétoré, Les Chrétiens aux bêtes : Souvenirs de la guerre sainte proclamée par les Turcs contre les chrétiens en 1915, Paris, 2005, p.309.